Sylvie Germain
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Conocimiento común
- Nombre canónico
- Germain, Sylvie
- Fecha de nacimiento
- 1954
- Género
- female
- Nacionalidad
- France (birth)
- Lugar de nacimiento
- Châteauroux, France
- Lugares de residencia
- Châteauroux, France
- Educación
- Sorbonne (MA | Philosophy)
Université de Paris X - Nanterre (PhD | Philosophy)
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- Favorito
- 3
> SYLVIE GERMAIN, LA VIGILANTE. — Ce n’est certes pas pour rien qu’elle fut, dans la Sorbonne des années 70, l’élève émerveillée d’rel="nofollow" target="_top">Emmanuel Levinas.
Le philosophe qui avait fait de la relation au visage de l’Autre l’alpha et l’oméga de toute sagesse humaine n’a pas seulement bouleversé la jeune étudiante d’alors – elle allait d’ailleurs consacrer sa thèse de doctorat au thème du visage humain –, il a aussi marqué Sylvie Germain jusqu’au plus profond de son inspiration littéraire. Pour lui, la question préalable à toutes les autres, forcément venue d’ailleurs parce que l’homme n’aurait jamais pensé à se la poser lui-même, la question philosophique par excellence était toujours celle de la responsabilité, formulée ainsi dans le récit de la Genèse :
« Qu'as-tu fait de ton frère ? ». Pour Sylvie Germain, depuis qu’elle a choisi de bifurquer de la philosophie vers la littérature, la question première demeure toujours celle du visage, de son insoutenable fragilité, de son introuvable identité en dehors de l’amour, de sa dépendance totale vis-à-vis du regard qui est porté sur lui. Aujourd’hui, avec son dernier roman, elle a choisi de raconter – dans un étrange mélange d’empathie et de distance, d’effroi et de douceur – ce que peut devenir le visage d’un homme si par malheur aucun regard ne se porte plus sur lui. Eh bien, il devient… rien. Il disparaît, il se fait vent avec le vent, simple courant d’air, homme invisible, il retourne au néant à travers une cruelle genèse menée à rebours – laquelle, dans le cas du héros de Hors champ, court du dimanche au samedi. Dé-création d’un être en aussi peu de jours qu’il en avait fallu au Créateur pour le placer au cœur de son projet.
Est-ce possible ? N’est-il pas déraisonnable de penser qu’un homme puisse ainsi dis-paraître ? Notre incrédulité voudrait trouver des arguments pour dénier cette éventualité - et, bien sûr, le premier argument rassurant est ici qu’il s’agit bien d’un roman, et même d’un roman à la limite de l'onirisme comme souvent chez Sylvie Germain. Rien à voir a priori avec le réel. Histoire aussi peu crédible que la Métamorphose de Kafka, où le héros se réveillait un jour transformé en vermine, en monstrueux insecte. Au mieux serions-nous donc dans l'allégorie. Et pourtant… quelle curieuse impression de vécu nous effleure à cette lecture, impression qui tourne au malaise lorsque tel ou tel détail fait resurgir en nous l’angoisse la plus partagée, celle de n’être pas reconnu : le jour où un interlocuteur n’entend pas, au sens propre du terme, ce qu’on lui dit pourtant à haute et intelligible voix ; le jour où l’être aimé, si prévenant et attentif en temps normal, n’a même pas remarqué un changement évident dans notre apparence ; le jour où le groupe d’amis dont nous faisons partie prenante nous a tout simplement oublié pour une fête ou une réunion, ce jour-là pointe en nous, sous la forme anodine d’un pincement au cœur, une peur immémoriale et affolante : la peur de disparaître. Parce qu’au fond nous savons de science sûre, au-delà de toutes nos petites fiertés mal placées, que nous ne sommes que des êtres de relations. Et que sans relation, il n’y a plus d’être.
On pense bien sûr aux SDF, qu’évoque d’ailleurs Sylvie Germain lorsque son héros, Aurélien, s'est blessé au visage, et se prend à espérer qu’avec un tel gnon, on va enfin le remarquer. Mais non, « cette idée s’évapore presque aussitôt, ruinée par un constat qu'il a pu faire dans la rue – les gens sans domicile (…) sont souvent très amochés, le visage tuméfié, la peau rougie-bleuie de mauvais vin, violacée de sang tourné, verdie comme si un peu de mort s’était déjà glissée et épandue sous l'épiderme. Et alors ? En quoi ces gueules de carnaval attirent-elles particulièrement l'attention… ? ». Oui, il y a bien des gens qui disparaissent, qui s'évaporent, qui se volatilisent dans l'anonymat. D’ailleurs, le grand-père polonais d'Aurélien n’avait-il pas péri dans le plus strict anonymat, d'une simple balle dans la nuque, quelque part dans la forêt de Katyn ?
On ne peut s’empêcher de méditer aussi, tout au long de cette descente aux enfers d’Aurélien, à celle qu’ont vécue en Europe ces hommes, ces femmes, ces enfants que les nazis ont fait disparaître socialement avant d'organiser leur disparition physique dans les fumées d'Auschwitz. Des millions de fois au cours de ces années, il s’est trouvé qu’un condisciple, un collègue, la vieille locataire du dessus ou les voisins de palier soient pour de bon devenus invisibles : tout avait été fait pour administrer insensiblement leur exclusion de la vie collective, ne restait plus qu'à entériner cette disparition dans des usines de mort – et ensuite, en détruisant les traces du crime, à mettre en œuvre la disparition de cette disparition. Derrière l'évanouissement du personnage d’Aurélien transparaît le spectre de la mort sociale, l’arme de prédilection de tous les régimes totalitaires – et signe de barbarie au cœur même de nos sociétés qui se voudraient civilisées. —Jean MOUTTAPA
*Hors champ, Sylvie Germain, Ed. Albin Michel, 208 pages, 15 €.
—L’Homme en Question, (24), Eté 2008, (pp. 1 et 2)… (más)