Rafik Smati

Le poète Malcom de Chazal avait cette formule surprenante : "si la lumière dépassait sa vitesse, elle se résumerait à la nuit". Ce paradoxe poétique est somme toute ce qui nous attend si la perception de la vitesse du temps, et son aspiration terrible, outrepasse les capacités de traitement de l'esprit humain et fait en sorte que celui-ci reste figé dans un présent permanent. La tyrannie du temps est consubstantielle aux technologies de communication. Le tassement du temps fait que la finalité des activités humaines est moins perçue par nos contemporains, pris dans un tourbillon permanent. Jeune entrepreneur, Rafik Smati nous donne dans ce livre son éclairage sur ce phénomène, en se défendant d'être philosophe ou scientifique. Il esquisse quelques pistes pour affronter ces temps à venir où la course contre la montre deviendra une épreuve permanente et impose déjà un modèle de civilisation pour les jeunes générations.

Rafik Smati renvoie l'origine de notre monde actuel aux infrastructures technologiques mises en place durant les Trente glorieuses, induisant une nouvelle relation au temps accentuée par les TIC, qui fait que le temps de décision s'est raccourci et a fait entrer l'ensemble des acteurs politiques et économiques dans une approche à court terme, malheureusement "au coeur de la crise que traverse aujourd'hui notre civilisation".

Cette vision à court terme se trouve par ailleurs complètement brouillée par la nature entropique du monde actuel. Loin d'avoir une quelconque maîtrise sur les événements, nous ne faisons que constater la désorganisation, le chaos apparent et les effets collatéraux. Avec les TIC et le fait de ne plus pouvoir prendre le temps de réfléchir à l'action, notre modèle de société semble s'être fait un malin plaisir à mettre en pratique la théorie du chaos. Cela ne semble pas de nature à effrayer l'auteur qui considère que la désorganisation est consubstantielle au développement et à la croissance. Cette entropie augmente à chaque nouvelle génération et les nouveaux venus s'y habituent, modifient leurs modes de pensée, sont plus directs, font abstraction des nuances et subtilités de language.

Face à cette accélération, l'auteur plaide pour la suspension de la tyrannie du Chronos (mesure mécanique du temps) au bénéfice du Kairos (mesure qualitative), lequel indique tant le moment de la pensée profonde que celui de l'opportunité d'action. C'est nécessaire pour mesurer les modifications apportées par la rapidité des échanges. Par exemple, au temps du haut débit, la géographie administrative de la France se mesure toujours en journée de cheval (création des départements). Autre exemple, le développement du travail à distance ne réduit pas les mégalopoles.

L'auteur s'essaie à faire de la prospective sur d'autres domaines, comme le co-développement, la démocratie, la fin des dictatures, etc. Outre le fait que ces thèmes ont été abordés par d'autres, on peut en retenir qu'il en va des prospectivistes comme des devins antiques : ils ne tracent que des lignes de force et ne sont pas tenus responsables de leurs propos. L'essai de Rafik Smati est faible de ce côté, d'autant plus que l'auteur insiste sur le principe entropique qui régira les sociétés futures, lesquelles seront donc plus sujettes aux accidents de parcours démontant les plus optimistes des prédictions. Au lecteur de prendre du recul... s'il a le temps.… (más)