Je crains de ne pas tre modeste au point de contester que, en mati re de jazz, je m'y connais un peu. Assez en tout cas pour ne pas ignorer, en principe, l'existence d'un des interpr tes majeurs d'une musique laquelle j'ai consacr tant de nuits, tant d' missions, tant de livres. Dans cette mesure, ma surprise ne fut pas mince le jour o , dans une trattoria v nitienne o nous d jeunions, lui et moi, Woody Allen lan a dans la conversation le nom d'Emmet Ray. D'apr s le cin aste, ce guitariste n'avait pas rencontr le succ s de son vivant, il ne figurait dans aucun dictionnaire et sa contribution phonographique se limitait quelques faces de 78-tours, jamais r dit es et d sormais inaccessibles. Dans une certaine mesure, j' tais donc excusable d' tre pass c t de son oeuvre, mais dans une certaine mesure seulement... Car, en croire mon interlocuteur, cet homme tait un g nie. D'un genre un peu particulier sans doute, mais un g nie malgr tout. Pareille lacune de ma part, je l'avoue, blessait mon amour-propre. En m me temps qu'elle piquait ma curiosit . Les g nies obscurs sont fascinants un double titre: les peintres sans gal riste, les crivains sans diteur, les musiciens sans producteur - tous ceux dont on s'est aper u trop tard qu'ils avaient manqu , avec une ponctualit tenant du prodige, tous les rendez-vous que la gloire leur avait fix s, et qui auraient pu bouleverser leur existence (ainsi que celle d'un certain nombre de leurs contemporains). De retour Paris, j'ai donc men ma petite enqu te sur le cas Emmet Ray. L'exp rience fut tr s loin d' tre d cevante. Mais comment serait-on d u par un personnage que Woody Allen, l'un de ces heureux menteurs qui disent toujours la v rit , aurait pu - et peut- tre tait-ce le cas - avoir invent de toutes pi ces ? A.G