Georges-Marc Benamou

Beau documentaire sur l'homme remarquable et complexe qu'était Albert Camus, mort tragiquement à l'âge de 46 ans, en quittant la douceur de Lourmarin avec son ami Gallimard qui le ramenait à Paris en voiture, le 4 janvier 1960. La monotonie des longues routes bordées de platanes aura enlevé la vie à plus d'un à cette époque.

Pendant les trois dernières années de sa vie, souhaitant fuir Paris et l'arrogance de ses intellectuels germanopratins qui se sont plu à le vilipender, c'est dans un lieu repéré par son ami René Char qu'il avait trouvé refuge, un coin de soleil qui lui rappelait son Algérie lointaine et perdue.

Né dans un quartier très pauvre d'Alger, d'un père mort à la guerre qu'il n'a pas connu, auprès d'une mère très aimée et docile, d'une grand-mère rude qui comptait le mettre au travail au plus vite, on peut dire que rien ne le prédestinait à devenir l'auteur, l'intellectuel et le lauréat du prix Nobel de la paix qu'il est devenu.

Militant de la première heure pour défendre les opprimés et la violence gratuite, il ne s'est jamais fourvoyé ; ceux qui se sont trompés ne le lui ont jamais pardonné. Souffrant de tuberculose, ivre de vie bien que traversant des périodes de dépression, ivre de soleil et de femmes dont certaines lui ont inspiré les passions les plus vives, il a vécu plusieurs vies, comme tant de personnes qui semblent se douter que la durée de leur existence leur est comptée.

Lorsqu'il reçoit le prix Nobel, c'est d'abord à sa mère qu'il écrit puis à M. Germain, l'instituteur sans lequel il estimait qu'il ne serait rien. Le professeur qui avait décelé la très vive intelligence de l'écolier s'était déplacé dans les quartiers pauvres d'Alger pour essayer d'arracher à la grand-mère l'autorisation de faire étudier le petit garçon.

Ce documentaire, enrichi de nombreuses archives (dont certaines sont superbes) et émaillé de témoignages personnels, offre une immersion vibrante et sensible dans l'univers d'Albert Camus. La dernière femme qu'il a aimée (qui n'avait que 25 ans à la mort de Camus, une nouvelle qui failli lui coûter sa propre vie), rapporte avec émotion que c'était un homme qui se sentait responsable de tout, de la terre entière, et qu'il était écrasé par la guerre d'Algérie, vécue comme un drame intime.

Le drame qui est le nôtre aujourd'hui, c'est de ne plus avoir d'intellectuel qui ait l'acuité, la force et la pureté d'un Albert Camus.… (más)