J’aime l’écriture de Régis Jauffret, j’aime ces phrases, son rythme, sa richesse lexicale. J’aime le roman choral et ce roman l’est d’une façon subtile, nous glissons d’une voix à l’autre parfois sans nous en rendre compte. Le propos est simple, démontrer que toutes les familles sont des asiles de fous. C’est vrai. Il le fait avec talent. Le style ne peut laisser indifférent, on adore ou on déteste. On adhère complément au propos et on se reconnaît dans ce grand bazar familial complètement allumé ou ceci nous renvoie à un vécu tellement douloureux qu’on ne veux ou peux pas le voir et l’entendre.

J’aime ce livre. Je le relirai.

La même histoire racontée par des voix différentes, les mêmes faits racontés par la même personne avec une honnêteté à géométrie variable en fonction de l’instants, ces procédés stylistiques renforcent la sensation d’étrangeté. L’utilisation du mensonge, un outil largement usité en famille, permet d’aborder les situations et les individus selon des angles d’attaques variables qui s’enrichissent les uns les autres. Chaque mensonge, chaque réalité enrichit le tableau général. Les familles sont des asiles de fous. J’en suis convaincu depuis longtemps. La famille est le lieu de tous les excès, dans un sens (amour) ou dans l’autre (haine), et donc de toutes les folies.

Ici Régis Jauffret s’en donne à coeur joie. Vous vous direz, ce n’est pas possible puis vous réfléchirez. Vous penserez à votre histoire. Vous reconnaîtrez des situations. Vous identifierez des comportements parfois hallucinants. Vous entendrez les phrases d’une violence inimaginable. Vous vous sentirez en famille.

La famille est aussi un cocon, un endroit où il fait chaud, où on se sent en sécurité, où on espère qu’enfin quelqu’un sait. Et un jour, la figure paternelle ou maternelle au détour d’une phrase de trop chute de son pied d’estal et c’est le début des ennuis. Malgré tout prit dans la nostalgie de notre insouciance enfantine, nous retournons en quête de ce cocon. Nous sommes bien ou plutôt moins mal qu’à l’extérieur, jusqu’au jour où le coton qui assourdit les chocs de notre vie, nous étouffe et nous devons fuir sous peine de nous perdre définitivement. C’est un très beau livre sur la complexité de la vie en famille, de la place de chacun, sur nos rêves, phantasmes, silences, cris, rires et pleurs…

Je l’ai aussi vécu comme un exercice littéraire, ces glissements de narrateur, dans un paragraphe au détour d’une phrase, ce désir de donner tous les points de vue même les plus fous. J’ai l’impression qu’il a donner la parole à toutes les voix de ses personnages et qu’il a été forcé de toutes leur faire de la place dans le texte. C’est une véritable expérience littéraire. Je suis impressionné par son talent. La forme permet au fond de donner le meilleur de lui même. C’est ça la littérature, une idée et la mise en forme qui va l’extraire jusqu’au dernier suc et parfois au delà.

Une belle, très belle expérience littéraire, “asiles de fous”, en plus mon exemplaire est dédicacé par l’auteur. Je dois reconnaitre qu’avoir la signature à l’encre bleue sur la page de garde de celui qui vous tient éveillé donne une dimension supplémentaire à l’objet livre, une dimension vivante. J’aime le livre en papier.